Dans cet article, nous vous proposons de comprendre comment l’élevage en fût influence le whisky avant de vous présenter les coups de cœur de notre expert Nicolas Julhès. Si vous êtes déjà experts ou pas forcément intéressés par ces notions, sentez-vous libres de passer directement à la découverte des références coups de cœur proposées plus bas !
Contrairement à d’autres spiritueux comme la vodka ou le gin qui passent directement de la distillation à la mise en bouteille, le temps de fabrication du whisky est plus lent. Le temps de vieillissement diffère en fonction des pays : aux États-Unis par exemple, il faut au moins 2 ans en fût pour produire un straight whisky, en Ecosse il en faut 3 minimum pour produire un single malt. Avant ce processus, le mélange porte le nom d’eau-de-vie. Certaines marques la commercialisent d’ailleurs pour assurer une trésorerie et une rentrée d’argent sans attendre 3 ans d’élevage en fût de chêne.
Au sein d’une même marque, le processus d’élaboration d’une référence à une autre est souvent identique ou très proche, et se distingue principalement par la technique ou la durée de vieillissements en fût. Cette période d’élevage peut avoir un impact significatif sur la qualité et le goût, et c’est justement ce qui nous intéresse ici !
UN PEU D’HISTOIRE : D’OÙ VIENNENT LES TECHNIQUES DE MATURATION EN FÛT LES PLUS UTILISÉES ?
A l’origine, le whisky ne restait que très peu de temps dans les fûts qui servaient surtout à le transporter. C’est donc par hasard que l’on s’est rendu compte des propriétés oxygénantes du bois pour développer les senteurs, puis de l’intérêt de mettre celui-ci dans des barils ayant parfois renfermé d’autres denrées, afin de lui apporter de nouvelles saveurs…
Whiskey américain : le fût de chêne neuf
Au 20ème siècle, le whisky a conquis le Monde et sa production n’a cessé d’augmenter, contrairement aux approvisionnements en fût qui ont eu tendance à décliner. Dans les années 1930, au sortir de la prohibition, les Etats-Unis imposent que le whiskey local soit produit dans des contenants neufs, et ce pour relancer la tonnellerie dont l’activité avait beaucoup souffert durant la période de prohibition (paradoxalement beaucoup plus que l’activité de production d’alcool qui continuait à se faire clandestinement en plus petite quantité mais pas en fût neuf pour ne pas attirer l’attention).
Whisky écossais : le fût de bourbon
En Écosse, la majorité des références sont produites en fût de whiskey américain. La raison en est à la fois historique et économique. En effet, que faire des barils déjà utilisés si la législation imposait le fût neuf aux fabriques américaines ? Les écossaises ont rapidement répondu à cette question en proposant d’acheter ces contenants déjà utilisés pour leur donner une seconde vie. Envoyés en Ecosse, ils devinrent la norme, en permettant aux marques écossaises de continuer leur production sans faire exploser leurs coûts de production grâce à ces barils de seconde main, moins chers.
LA TAILLE DU FÛT… ÇA COMPTE ?
On l’a vu rapidement, c’est l’interaction entre le bois du fût et le liquide qui souligne ou développe des saveurs. Et plus le fût est petit, plus les interactions entre le liquide et la surface du fût sont importantes (le ratio bois-alcool augmente en faveur du bois), et donc plus le processus de vieillissement va être efficace. Les petits contenants favorisent donc le développement rapide des saveurs.
Donc oui : la taille ça compte et si vous êtes pressés, vous préférerez des petits fûts !
POURQUOI CHOISIR UN FÛT PLUTÔT QU’UN AUTRE ?
Aux Etats-Unis, c’est le fût neuf qui prime et il est généralement toasté de manière intense. Le toastage a plusieurs « vertues ». D’une part le bois brulé va littéralement infuser le liquide pour développer des arômes profonds de vanille, de coco, d’abricot et d’épices (les whiskeys américains sont souvent très gourmands aux saveurs de vanille et de caramel. D’autre part, au contact du bois de la barrique « regénérée » par le brûlage, le whisky s’oxygène particulièrement vite, ce qui développe plus les arômes naturellement présents dans celui-ci au départ.
Le fût ex-bourbon est un fût qui a perdu une partie de sa capacité à apporter des saveurs boisées et vanillées car le bois de la barrique est moins oxygénant. Il aura donc tendance à moins influencer le whisky et à mieux respecter le style de la marque. C’est aussi pour cela qu’il s’est imposé comme le fût de référence dans l’univers du scotch whisky : il permet de faire vieillir l’alcool et de développer de jolies saveurs boisées, vanillés et toastées sans masquer le style premier de la marque qui reste prédominant.
Un autre type de fût beaucoup moins utilisé est le fût de vin dits « muté ». Le plus célèbre est le fût de sherry (xérès en français), un vin espagnol, mais celui de Porto, de Madère ou encore de Sauternes sont également des contenants utilisés. Ils sont reconnus pour apporter une certaine douceur au whisky et des nuances fruitées. Ces fûts plus rares sont très recherchés et valorisés mais leurs utilisations nécessitent une grande maîtrise car ils influencent beaucoup le style du whisky et peuvent le dénaturer. Ils sont d’ailleurs souvent utilisés en « finishing » sur quelques mois d’affinage à la fin du vieillissement en fût plus traditionnel. Aussi, ces barriques fortifiées sont généralement réservées aux références les plus structurés et les plus âgés, qui peuvent supporter cette extra-maturation.
L’usage de fûts de rhum, ou d’autres spiritueux se développe mais cette pratique est plus récente et ne peut pas être considérée comme « traditionnelle ».
Certains whiskies sont dits de « double maturation ». Mais qu’est-ce-que c’est ?
Cela consiste généralement à faire vieillir une partie du lot dans un type de barils et l’autre partie du lot dans un autre type de contenant puis de les assembler pour créer le whisky final. Mais cette technique avec deux élevages différents peut prendre des formes plus techniques ou plus artistiques. Ci-dessous les principales techniques.
LA DOUBLE MATURATION POUR DÉVELOPPER LES ARÔMES VIA L’OXYGÉ NATION DU SPIRITUEUX
Parfois, ce procédé prend une fonction purement structurelle : celle d’oxygéner le liquide pour en libérer tous les arômes intrinsèques. Le fût de chêne joue alors le rôle d’un cocon au sein duquel se développent et fusionnent les différents éléments aromatiques du futur whisky. Cette technique est souvent mal comprise mais son intérêt est bien réel et maîtrisé par une poignée d’experts ! On utilise un premier fût « traditionnel » pour faire vieillir l‘alcool et on utilise un autre fût pour accélérer l’oxygénation et développer des saveurs plus intenses. Prenons l’exemple du premier coup de cœur de notre expert, Nicolas Julhès.
CARDHU AMBER ROCK : Une maîtrise parfaite de cette technique à la recherche du style originel du Speyside
En 2014, la marque Cardhu a souhaité élaborer un produit qui sonnerait comme un retour aux sources ; un retour au style du Speyside écossais à ses origines.
La Maître Distillateur Cardhu a alors eu l’idée d’associer des spiritueux issus de différents lots pour marier des whiskies différents et se rapprocher de ce goût originel sans souci de l’âge du whisky produit. Seul importait l’élaboration d’un liquide au goût fruité et rond, typique du Speyside d’autrefois.
Pour marier harmonieusement les différents lots, il était nécessaire de réoxygéner les ingrédients via une seconde période en fût. Le Maître Distillateur opta alors pour une double maturation en « rejuvenated casks » ; c’est-à-dire des fûts brûlés et grattés plusieurs fois pour leur faire perdre presque tout pouvoir aromatique (et limiter l’apport de nouvelles saveurs boisés, fruités…) et bien développer leur capacité d’oxygénation. Par brûlages et grattages successifs, les pores du bois sont libérés et remplis d’oxygène prêt à être déployé dans le whisky. C’est cette oxygénation qui permet le mariage parfait et qui fait de Cardhu Amber Rock une des versions les plus complexes et les plus souples et soyeuses de la marque.
LE FINISHING (OU AFFINAGE) : UNE TECHNIQUE RÉCENTE UTILISÉE POUR CRÉER DES WHISKIES D’EXCEPTION
Depuis les années 90, une autre technique a vu le jour : LE FINISHING. Il s’agit de faire vieillir le liquide en fût de bourbon, puis, lorsqu’il est presque arrivé à la maturité recherchée, de le transférer dans un fût plus aromatisant. Cette technique est à utiliser avec circonspection. Le risque est en effet d’écraser le caractère premier de la marque et de masquer le style qui fait le succès du malt au départ. Néanmoins, quand cet affinage est fait avec maîtrise, le mariage entre le bois, ce qu’il a précédemment contenu, et le whisky peut être absolument remarquable. Et voici la sélection des plus beaux spiritueux issus de fûts d’affinages selon Nicolas Julhès.
GLENMORANGIE THE QUINTA RUBAN : Pionnier de la technique du Finishing
C’est à Glenmorangie et sous l’impulsion de Bill Lumsden son directeur, qu’est née la technique d’affinage ou appelée en anglais « de finishing ». The Quinta Ruban en est l’un des meilleurs exemples qui rend hommage aux "quintas", les fameuses Maisons de Porto au Portugal. Ce produit est resté pendant 12 ans dans des fûts de chêne blanc d'Amérique et de 2 ans dans ceux de Porto Ruby. Ruby se dit d’ailleurs “Ruban” en gaélique. Ici, le porto Ruby que contenaient les fûts, apporte des tanins délicats, une légère douceur et de belles nuances de fruits rouges.
GLENMORANGIE NECTAR D’OR : Une jolie association avec le fût de Sauternes
Pour créer ce whisky d’exception, Bill Lumsden, en charge du vieillissement chez Glenmorangie, s’est rendu dans un prestigieux château du vignoble de Sauternes. Cette version porte brillamment son nom : Nectar d’Or.
C'est dans des contenants choisis individuellement, ayant conservé du vin de Sauternes doux particulièrement réputé, que le liquide est affiné durant deux ans après dix ans passés en fût de bourbon. Il développe alors ses arômes riches et épicés et prend un joli volume, renforcé par des saveurs d’abricots et de fruits blancs. On est ici dans un parfait exemple de complémentarité entre le fût, ce qu’il a contenu précédemment, et le single malt.
GLENKINCHIE DISTILLERS EDITION : L’un des plus grands coups de cœur de notre expert
Cette distillerie est l’une des dernières représentantes des Lowlands. Le whisky est frais, précis avec un boisé très discret complété par des saveurs de fruits blancs et d’agrumes.
Pas facile d’imaginer une seconde maturation qui ne vienne pas bouleverser l’équilibre si délicat de Glenkinchie. C’est donc l’enjeu majeur de cette version, d’appliquer cette technique sans alourdir son style. Le choix du Maître Distillateur s'est donc porté sur un affinage dans des fûts d’Amontillado ; fûts qui possèdent un boisé profond mais une structure délicate.
Le résultat est subtil et tellement bien réussi ! Glenkinchie gagne en intensité tout en gardant sa tension et sa fraîcheur si caractéristiques.
OBAN DISTILLERS EDITION : Une référence aux notes âcres et explosives
Oban est un spiritueux non tourbé, mais avec une puissance structurelle rare pour un produit des Highlands. Cette intensité vient entre autres de ses fermentations parmi les plus longues.
Pour sa double maturation, le choix s'est porté sur un Fino. Celui-ci se caractérise par ses notes fermentaires et sa structure vive et précise. Sans effacer ces 14 ans passés en fût de bourbon, cette technique pose un voile de jeunesse sur Oban et accentue sa fraîcheur et sa minéralité. Une bouteille à faire déguster aux amateurs de grands vins blancs.
TALISKER DISTILLERS EDITION : Une double maturation sur une référence tourbée, une belle réussite
Bien maîtrisée, ce procédé fait des merveilles sur les malts tourbés. Talisker Distillers Edition a toujours marqué les amateurs. On peut les comprendre. Ici, la fougue saline et iodée de Talisker est complétée par la structure d’un Amoroso et s’enveloppe de sa douceur. On notera que le côté oxydatif du vin fonctionne à merveille avec la tourbe délicate du malt de l’île de Skye.
CAOL ILA DISTILLERS EDITION : Une très belle surprise
L’une des plus belles surprises de notre expert en termes d’affinage en fût de vin muté vient de l’île d’Islay. Nicolas nous le confie : il « adore la façon dont le fût de Moscatel (un muscat doux d’Andalousie) vient réinterpréter la note de tourbe fumée et aérienne de Caol Ila sans l’écraser, bien au contraire. »
Les saveurs florales et exotiques de la barrique de Moscatel réinventent Caol Ila sans en nier le style premier. La fumée devient plus subtile, empreinte de fleurs séchées. Le boisé est enveloppé de saveurs fruitées, opulentes, presque miellées.
LA DOUBLE MATURATION PAR VIEILLISSEMENT DANS DES FÛTS DE DIFFERENTES NATURES
Parfois un fût plus marquant n’est pas utilisé en finishing. Il est utilisé sur une partie ou la totalité du lot, pendant toute la durée du vieillissement. Cette technique apporte beaucoup d’intensité, de souplesse et de profondeur au whisky. Mais l’enjeu devient alors de maitriser à la perfection cette technique pour ne pas écraser le caractère de la marque. Voici quelques exemples où la technique est particulièrement bien maitrisée :
TALISKER PORT RUIGHE : L’union brillante entre une fumée délicatement tourbée et un fruité riche
Pour cette embouteillage, Talisker utilise partiellement le fût de Porto, cela célèbre les liens particuliers qu’il y avait historiquement entre l’Ile de Skye et le Portugal. L’utilisation des fûts de vin Portugais apporte à Talisker un soupçon de douceur, des saveurs fruités et des tanins très délicats. Si la majorité des embouteillages de la marque met en avant son caractère marin iodé, ici, c’est le boisé élégant et les saveurs épicées qui sont soulignées.
KNOCKANDO, 21 ANS : Un vieillissement exceptionnel, fruit de l’expertise des distillateurs
Cette distillerie s’est toujours démarquée par l’importance qu’elle accordait au vieillissement. Elle a pour tradition d’élever chaque lot en fonction de sa saison de distillation. Ce travail par petit lot l’a amené à mettre en bouteille par millésime pour souligner les petites nuances qu’il pouvait y avoir d’un embouteillage à un autre. Regardez de plus près ce millésime, vous aurez l’agréable surprise de découvrir que le whisky est en général plus vieux que les 21 ans annoncées. Knockando 21 ans se distingue par un usage important du Sherry Cask qui vient exacerber la structure ronde et souple du Speyside. Le fût apporte aussi des saveurs aromatiques marquées par le fruit sec, le pruneau, et le caramel au beurre.
MORLACH 12 ANS : Un produit vibrant et audacieux
Mortlach 12 ans est un whisky unique et atypique. Cette technique de distillation unique favorise son style multi-facette. Pour le vieillissement du 12 ans, cette complexité est exacerbée par l’utilisation de 2 vieillissements parallèles : L’un en fût de Bourbon, l’autre en fût de Sherry, qui souligne la puissance, l’intensité et le caractère vibrant typique de Mortlach.